Bernard Assiniwi

Bernard Assiniwi

Dr. Bernard Assiniwi D.h.c est né à Montréal en 1935 d’une mère canadienne-française d’origine algonquine et d’un père algonquin et cri. Il est le premier auteur amérindien à publier un ouvrage en français largement distribué au Québec (Anish-nah-be. Contes adultes du pays algonkin, Leméac, 1971). Sa formation multidisciplinaire (musique, chant, biologie, génétique animale, médecine vétérinaire, administration publique) lui permet d’avoir une carrière riche et diversifiée. Il est animateur et réalisateur d’émissions et de documentaires sur l’histoire des Amérindiens, la vie en plein air et l’écologie. Il est aussi comédien, fondateur de la section culturelle du ministère des Affaires indiennes et directeur des communications et des relations publiques au Bureau des Revendications autochtones du même ministère, président de l’Alliance autochtone du Québec, professeur de création littéraire à l’Université d’Ottawa. Il collabore à plusieurs journaux et périodiques au Canada et en Europe. Chez Leméac, il est directeur de la collection Ni-t’chawama/Mon ami mon frère consacrée aux Amérindiens (1972-1976). En 1992, il obtient le poste de chercheur en histoire autochtone au Service canadien d’ethnologie du Musée canadien des civilisations de Hull, qu’il a occupé jusqu’à son décès en 2000. Son dernier roman historique, La Saga des Béothuks (Leméac/Actes Sud, 1996) reçoit le prix littéraire France-Québec Jean-Hamelin en 1997 en plus d’être finaliste pour le Prix du gouverneur général du Canada. En 1999, l’Université du Québec à Trois-Rivières lui décerne un doctorat honoris causa pour l’ensemble de son œuvre. Après son décès, l’organisme amérindien Terres en vues crée en son honneur le prix Dr. Bernard-Chagnan-Assiniwi décerné pour la première fois en 2001 à un artiste ou un créateur autochtone dont le travail a contribué à l’enrichissement de sa culture d’origine et a stimulé ses compatriotes par son cheminement. Il a publié une trentaine d’ouvrages dont la liste peut être consultée à l’adresse www.litterature.org/recherche/ecrivains/assiniwi-bernard-39/.

La Saga des Béothuks (extrait 1)

Camtac disait que l’apprentissage durait toute la vie et que se perpétuer en ses enfants ne lui apporterait rien de plus que ce qu’il aurait enseigné à ses successeurs dans ce monde. Que la connaissance totale ne venait que de la mort et de la réincarnation en d’autres êtres. C’est ainsi que la connaissance vient aux humains. Dans une vie, on se suffit à soi-même. Dans la réincarnation, on apprend aux autres. Dans la sagesse de la connaissance, on transmet à ceux qui viendront la mémoire de ceux qui ne sont plus. Et c’est ainsi que survit un peuple, une nation. Tout le savoir d’un homme ne sert à rien s’il n’est pas transmis. Toute transmission ne sert à rien si elle n’est pas comprise. Il faut donc toujours avoir les oreilles propres pour entendre et les yeux ouverts pour voir et comprendre. Voilà le secret de l’existence des Béothuks. C’est pourquoi, selon Camtac, les Béothuks vivraient toujours, même quand mourrait le dernier. Ils continueraient de vivre en d’autres. Dans d’autres mémoires. Dans d’autres apprentissages. Camtac disait que les Béothuks étaient éternels. Ils étaient la vie. Il y aurait toujours des Béothuks dans le monde entier. Car il y aurait des choses à apprendre. Les Béothuks étaient « les vrais hommes ». Les vrais hommes ont toujours des choses à apprendre. Ils sont éternels par leur besoin de savoir, de connaître, de donner.

(La Saga des Béothuks, Arles, Leméac/Actes Sud, 1996, p. 230)

Texte lu par Marc-André Assiniwi

La Saga des Béothuks (extrait 2)

La Saga des Béothuks

Illustration : Georgette Obomsawine

Lorsque la colonne des chasseurs arriva à l’orée de la forêt, là où se dressait le village du clan d’Appawet [le phoque], une cinquantaine d’enfants les attendaient. Au milieu de ces enfants, une belle jeune femme se tenait debout, immobile, cherchant des yeux son compagnon. Dès qu’elle l’aperçut, elle se dirigea vers lui en courant et se jeta dans ses bras.
— Dogermaït. Comme je suis heureuse de te retrouver sain et sauf. »
Le jeune homme la repoussa doucement.
— Je ne suis plus la longue flèche de bois. Je suis maintenant Ashmudyim, le diable méchant.
— Non, cria la jeune femme. Pour moi, tu es toujours Dogermaït, le meilleur tireur à l’arc de l’île des Hommes-Rouges.
— Même avec ce visage en pâturage piétiné ?
— Même en morceaux détachés, répondit la belle Addizabad-Zéa ».
Le jeune homme étreignit la femme et la serra très fort contre lui en évitant de coller son visage encore ensanglanté sur le sien.
Wobee [le marin de Jacques Cartier] fut bouleversé. Pas un seul trait du visage de la jeune femme n’avait témoigné du dégoût que peut inspirer un visage piétiné par des cervidés aux sabots coupants comme des silex nouvellement éclatés. Il se demandait comment réagiraient les enfants. Leur réaction pouvait être fatale au jeune homme mutilé. Ils ne firent aucune allusion à la terrible blessure du chasseur. Au contraire, ils se tournèrent tous vers lui.
« Dogermaït, quand vas-tu nous raconter ta chasse ? »
Le jeune fut à ce point ému de cet accueil qu’il se mit à pleurer comme un enfant privé de sa mère. Les jeunes voulaient tout savoir, tout de suite.
« Combien de caribous as-tu tués ?
— Est-ce que tu en as raté plusieurs ?
— Dis-nous où le chef de chasse t’avait placé ?
— Raconte-nous la chasse au complet.
— Quand vas-tu faire le récit de la chasse ? »
Le jeune homme prit alors la parole.
« Comme vous pouvez le constater, il y a eu un accident pendant cette chasse. Mon visage a servi de sentier à beaucoup de caribous, et j’ai pris le nom de Ashmudyim, le diable méchant. Je suis même étonné que vous me reconnaissiez encore ! »
Un des jeunes lui lança alors :
« Ton corps et ton cœur sont toujours les mêmes. C’est facile à reconnaître. »
Et le jeune homme pleura à nouveau, tandis que tous les chasseurs ravalaient leur émotion. Le vaillant jeune homme avait failli mourir pour eux, et tous lui en étaient reconnaissants.
« Comment pourrions-nous t’appeler Ashmudyim, alors que tu es notre héros à tous ? Tu es Dogermaït, celui qui utilise les longues flèches de bois, le meilleur archer de la nation béothuke. »

(La Saga des Béothuks, Arles, Leméac/Actes Sud, 1996, p. 244-245)

Texte lu par Marc-André Assiniwi