Glenna Matoush

Glenna Matoush

Glenna Matoush, le parcours vertigineux des âmes

La matérialité fortement appuyée des peintures récentes de Glenna Matoush nous place devant l’univers paradoxal habité par les âmes des chamanes et hanté par les esprits du trickster. Si l’œuvre aspire à l’élévation, elle est d’abord ancrée, ses racines plongeant au plus profond de la tradition des Ojibway. Née à Rama en Ontario, elle a vécu longtemps à Mistissini, partageant avec les Cris leur passion du territoire et de ses ressources. Ses peintures ont souvent cet aspect d’une cartographie qui mesurerait autant la distance entre les lieux et les objets que celle que doivent franchir les âmes pour accéder à la paix.

L’atelier comme une tente tremblante

De larges fenêtres donnent sur une rue bruyante de Montréal. Nous sommes décidément au cœur de la ville, nos regards butant sur un écran démesuré allumé en permanence. Pourtant, le lieu est chargé à bloc d’une créativité hors du commun. Des toiles, denses de matières étonnantes pour un œil urbain (poils, ossements, écorces, perles, aiguilles et piquants de porc-épic), se déploient sur les murs et les tables. Le territoire est convoqué et l’esprit des anciens, mille fois invoqués, se manifeste. Les peintures de Matoush s’inscrivent dans la mémoire des siens. Elles apparaissent comme des signes, accomplissant prosaïquement leur rôle qui est d’indiquer. Empruntés aux peintures rupestres découvertes en Ontario, d’étranges canots traversent le ciel embrasé de ces toiles. Certains archéologues ont voulu voir dans ces pictogrammes la preuve de la présence des Vikings sur les Grands Lacs niant ainsi aux Premières Nations leur spiritualité et la réalité de leur occupation historique de ce territoire. Pour l’artiste, peindre ces canots des chamanes qui transportent les âmes est d’abord un geste d’affirmation, posé dans l’urgence et dans la dignité, face aux chapes d’ignorance sous lesquelles nous abritons trop souvent nos fragiles certitudes. Au fur et à mesure que la série se développe, les signes s’épurent, deviennent les symboles d’un univers sacré où des êtres de compassion ouvrent la voie à la guérison.

Révolte et apaisement

Il y a toujours eu chez Matoush ce souci des autres. Une peinture de 1994-95 nous montre un dortoir de ces lieux sinistres où l’on s’acharnait à détruire les liens vitaux qui reliaient les jeunes Indiens à leur culture originaire. L’image est crue comme un cri de douleur mais la toile par sa facture même est une manifestation d’espoir.
Plus près de nous, en septembre 2003, dans le cadre du projet Monument Vivant, elle a participé à la réalisation d’une murale en mémoire des 63 femmes travailleuses du sexe, assassinées à Vancouver depuis 1978. Plusieurs de ces femmes étaient d’origine autochtone. Sur un mur de la rue St-Laurent à Montréal, les barques chamaniques survolent une ville en proie au mal et à la détresse. Deux des composantes majeures de l’œuvre de Glenna Matoush, sa révolte face au sort réservé aux siens et sa compassion qui agit comme un baume sur la souffrance, éclatent au grand jour.

Dans le noir la fulgurance

Les tableaux récents s’articulent autour du signe même gravé par les anciens, photocopié et encollé sur des surfaces noires. La forme des canots chamaniques est à peine reconnaissable. Les gestes du peintre ne semblent obéir à aucune logique. Le regard est aspiré par l’opacité du noir, les repères usuels disparaissent et soudain une respiration sereine prend le dessus. La vie nous est rendue et si nous demeurons attentifs à ces œuvres encore quelques instants, nous pouvons entendre le rire sonore de Glenna Matoush. L’artiste a tracé le chemin vers l’élévation et elle nous laisse la liberté de le prendre ou non. Les pièges sont déjoués. Autant ceux de l’art comme panacée que ceux du désespoir comme alibi.

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Happiness is Movement (détail) (Bonheur en mouvement)

Glenna Matoush, 2005
Livre d’artiste, 8 pages, dimensions variables
Assemblage, acrylique sur toile, collages, perles et os de caribous peints

La première page du livre d’artiste est un croquis réalisé par un ami de Glenna avant qu’il ne devienne malade. Quatre chevaux entourent le portrait d’un jeune homme au regard triste. On peut aussi lire l’inscription «Adieu Tim». Glenna a reproduit le croquis dans le livre d’artiste qui est dédié à Tim DIamond, un jeune Cri décédé en 2004 des suites du S.I.D.A.

« Mon livre d’artiste est une façon d’exprimer ma peine devant la perte d’un ami avec la couleur, de crier avec la couleur. Vers la fin, à l’hôpital, j’ai crié Que ton voyage soit beau, Tim, et je sais qu’il m’a entendu parce que à ce moment précis une porte très lourde s’est soudainement et vivement refermée. Les animaux en mouvement font partie du voyage, ils guident Tim vers le monde des esprits. Le mouvement et la couleur pour nous consoler, moi et sa famille. Les mains perlées servent à tourner les pages et sont autant d’invitations à accompagner l’âme de Tim. »

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Happiness is Movement (détail) (Bonheur en mouvement)

Glenna Matoush, 2005
Livre d’artiste, 8 pages, dimensions variables
Assemblage, acrylique sur toile, collages, perles et os de caribous peints

Quatre chevaux devant un tepee. Le plus grand est couvert de symboles; mains ouvertes, oiseau tonnerre, figure chamanique, éclair, et soleils.

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Shaman’s boats (Barque de chamanes)

Glenna Matoush, 2002
Acrylique et collage sur toile

Variation sur le thème de la barque du chaman. Plusieurs barques en mouvement.

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Shaman’s boat (Barque de chamanes)

Glenna Matoush, 2003
Acrylique, écorce et perles sur toile, 8 x 16″

Représentation stylisée d’une barque dont l’effigie principale est au centre. Il agit d’un chamane transportant les âmes dans l’au-delà. Inspiré d’un pétroglyphe trouvé en Ontario.