Jeff Barnaby a grandi dans la communauté Mi’gMaq de Listiguj. Artiste multidisciplinaire, il s’est mérité plusieurs prix pour ses œuvres, qu’ils prennent la forme de poèmes, de contes ou de courts métrages. Son travail propose une vision frontale et post apocalyptique de l’Amérindien dans son univers contemporain. From Cherry English, son premier court, a gagné deux prix Golden Sheaf (au festival de Yorkton) et a été présenté dans de nombreuses manifestations cinématographiques comme Sundance, Tribecca, Fantasia, le Vancouver International Film Festival, l’Atlantic International Film Festival.
Le film suivant The Colony livre crûment une histoire graveleuse de trahison, de désolation et de désintégration. Suivant un scénario inventif et un tournage sans défaut, c’est une œuvre puissante dans laquelle scies à chaîne et coquerelles sèment la dévastation pendant que le héros s’enfonce dans la démence.
Entrevue avec Jeff Barnaby
« Je suis un Mi’gMaq de Listiguj, la réserve qui est connue surtout à cause du raid que la SQ y effectua en 1979 ; Alanis Obomsawin a fait un film sur ces événements.
Très jeune, j’ai manifesté un intérêt pour les arts principalement l’écriture, la musique et le dessin. Mais après avoir découvert le cinéma et vu à quel point les films ont été préjudiciables aux peuples autochtones, j’ai décidé de m’orienter vers une carrière cinématographique.
C’est vrai que mes films sont violents, hyperboliques, extrêmes. Mes personnages expriment avec intensité la douleur sourde et le désespoir muet qui se vivent au quotidien dans nos communautés. Je ne vais pas mettre des gants blancs pour rappeler gentiment que nos langues sont en perdition et que nos cultures s’effritent. Nous n’avons plus qu’une pâle idée de ce que nous avons perdu et qui nous manque désespérément. Mes films sont une sirène d’alarme. Pour réveiller les gens de leur léthargie, il ne faut pas se gêner de donner des coups de pieds au cul.
Mon prochain film sera un long-métrage, une histoire de zombis qui se passe dans une réserve amérindienne.
J’espère que le cinéma pourra redonner aux Amérindiens ce qu’il leur a enlevé : la fierté, le goût d’être ce qu’ils sont, de parler leurs langues et de conserver leurs cultures. »
Extraits du film The Colony de Jeff Barnaby
Intérieur nuit. Dans une maison mobile, une lampe jette une lumière blafarde sur un décor morbide. Tout est en décrépitude, un désordre indescriptible règne dans le petit espace et des coquerelles géantes se promènent sur les murs.
Un homme est couché qui semble malade ou blessé. Il signale avec beaucoup de peine un numéro de téléphone. À celui qui lui répond à l’autre bout du fil, l’homme se plaint qu’il est envahit par les coquerelles. On entend la voix irritée de l’interlocuteur qui lui rappelle qu’il est quatre heures du matin. Le téléphone est raccroché, on n’entend plus que la tonalité alors que le décor reste inchangé, intérieur de la triste et délabrée maison mobile, toujours dans le même cadre.